De l’utilité de mettre une dizaine d’auteurs dans la même pièce

Depuis un an, je participe à un groupe d’écriture qui se réunit toutes les semaines à Bruxelles. Chaque fois, quelques personnes lisent leurs textes à voix haute, et nous prenons une dizaine de minutes minimum pour faire des critiques constructives sur chaque extraits.

Le groupe d’écriture est une habitude anglo-saxonne : celui que je fréquente est anglophone, même si l’anglais n’est pas la langue maternelle d’une bonne partie de ses membres. Il n’y a pas vraiment d’équivalent francophone, ce qui est bien dommage.

Pour commencer, cela casse le mythe que l’écriture est un travail exclusivement solitaire, nimbé d’un mystère d’Inspiration Créatrice. Bien sûr, les textes s’élaborent dans la solitude, mais aller lire régulièrement ce que l’on écrit a plusieurs avantages :

1) On apprend à recevoir des critiques.
C’est facile d’avoir un attachement sentimental à son texte. C’est même normal, vu le temps et l’effort qu’on y a consacré. Ce n’est pas agréable non plus de s’entendre dire que les personnages ne sont pas assez fouillés ou que la structure est bancale. Mais si on veut progresser, c’est essentiel de recevoir les critiques constructives d’autres passionnés, qui ont parfois des connaissances assez pointues en grammaire ou en structure narrative. Et si on veut se faire publier, il est quasiment inévitable que l’éditeur propose des modifications.

2) On apprend à faire le tri
Quand douze personnes critiquent le même texte, elles peuvent faire des observations et des suggestions très différentes, voire contradictoires. Certaines sont utiles, d’autres peuvent l’être pour un autre texte ou carrément un autre auteur – le mieux est donc de les laisser de côté.

3) On peut se fixer des dates butoirs
Si on travaille sans date butoir claire, il est facile de se démotiver et de laisser son idée de nouvelle ou de roman à l’état de rêverie : après tout, qui l’attend, ce texte ?
Si on a prévenu l’organisateur du groupe qu’on va lire un texte dans trois jours, évidemment, c’est différent. Plus d’excuses pour ne pas l’écrire, ou pour ne pas retravailler ce brouillon informe qui dort depuis des semaines sur le disque dur.

4) On lit son texte à voix haute
C’est un excellent conseil d’écriture : en lisant à voix haute, on voit mieux si le style est fluide, si les dialogues sont naturels, et si les événements s’enchaînent bien. Pourtant, on ne le fait pas, ou rarement. Dans un groupe d’écriture, non seulement on le fait, mais en plus, on assiste à la réaction du public : sont-ils captivés, rient-ils, sont-ils émus ?

5) On s’améliore en devenant meilleur critique
En écoutant et en lisant les textes des autres, et en s’appliquant à faire des critiques constructives, on apprend à affiner ses observations, à faire plus attention à la qualité des éléments de narration. Mieux on comprend la technique, mieux on peut conseiller les autres auteurs. On développe aussi son tact : écrire, ça exige du temps et de l’effort, et l’attachement affectif d’un auteur à son texte est très fort. Il faut donc présenter les choses de manière à ne pas blesser, donner des commentaires positifs en premier, et si on n’a pas aimé, on s’abstient de dire de but en blanc que c’est nul.
Dans le groupe, il y a longtemps, un type ne donnait que des critiques négatives qui flirtaient avec les attaques à la personne. On lui a dit poliment qu’il n’était pas le bienvenu.

6) On écoute des histoires gratuitement
Enfin presque. Chaque semaine, pour le prix d’un billet de train et d’une consommation, je peux écouter entre deux et trois nouvelles, poèmes ou extraits de roman. Souvent, les écrivains apportent des chapitres de leur roman, dans l’ordre. Un peu comme les soirées au coin de la cheminée où on se racontait des histoires à épisodes ou comme les romans-feuilleton du dix-neuvième. On écrit souvent parce qu’on adore entendre des histoires. Avec un groupe d’écriture, on est servi sur un plateau.

Faire partie d’un groupe d’écriture m’a permis de m’améliorer. Il m’arrive souvent d’y lire la première version d’un texte, puis de le retravailler à l’aide des commentaires et des réactions des autres : cela fait maintenant partie de mon processus d’écriture.

En France, les ateliers de création littéraire se font plus fréquents. Mais ils sont ponctuels. Un groupe d’écriture permet de tisser des liens sur la longueur, grâce à sa régularité. Si je reviens m’installer dans un pays (ou une région francophone), j’essaierai certainement d’en monter un.

Nous sommes cernés !

C’était une matinée tranquille au théâtre : pas de bande ivre qui nous avait confondu avec un des théâtres de l’avenue. Mes pieds n’avaient plus aucun souvenir d’avoir été perchés sur des talons aiguilles la soirée précédente ; j’avais déjà le costume de mon rôle, celui d’une petite fille.

Pourtant, j’approchais de la trentaine. J’étais comédienne. La veille, j’avais fait une animation pour le lancement d’un produit : un grand événement, quatre salles avec des ambiances différentes et un bar à oxygène. Cette soirée-là, j’avais eu la confirmation que tout le monde était, avait été ou voulait être vaguement comédien.

Tout avait commencé avec le vigile.

– Moi aussi, je suis comédien. Je n’ai pas fait d’école. Juste quelques pièces avec des potes…

Pour continuer avec une des hôtesses – une bonne partie des hôtesses, à Paris, sont comédiennes :

– Je joue dans une pièce en ce moment. Je vais te donner le flyer…

Se poursuivre avec une autre hôtesse :

– Ah, je suis montée à Paris pour prendre des cours de théâtre, j’adorerais être comédienne ! Tu veux respirer de la menthe ?

C’était l’hôtesse du bar à oxygène.

Quand, en partant, j’avais échangé quelques mots avec une autre hôtesse apprentie-comédienne, avant de prendre le métro avec mes collègues d’animation eux aussi comédiens, je m’étais dit que cette prolifération de comédiens au mètre carré n’était qu’un concours de circonstances.

Le lendemain, en installant le décor au théâtre en bavardant avec la directrice, je n’avais donc aucun sentiment d’étrangeté. Puis elle dit :

– Tu connais Machin ? Il fait l’horoscope pour des magazines féminins. Eh bien, il est comédien. Il est bon, d’ailleurs. J’ai programmé une de ses pièces.

A ce moment, une silhouette s’est découpée dans l’embrasure de la porte. C’était le contrôleur de l’EDF. Alors qu’il relevait le compteur, il dit :

– C’est un joli théâtre que vous avez.

– Merci.

– Le plateau est bien, l’implantation lumière est pas mal… Je suis metteur en scène et comédien. Je peux avoir votre carte ?

Les joyeux lurons

Pendant deux ans, j’ai joué dans des pièces pour enfants, dans un petit théâtre de Pigalle. Le quartier abondait en théâtres d’un autre genre, pas pour enfants. Beaucoup pour touristes. Le genre avec des rabatteurs qui tentent d’attirer des gens, le genre avec des photos où certaines parties de l’anatomie des modèles sont masquées.

Un jour, alors que nous étions en train d’installer le décor, porte ouverte sur le beau temps, nous avons vu débarquer quatre personnes complètement bourrées : deux hommes, deux femmes.

– Ca commence à quelle heure, le spectacle ?

Il y avait partout des affiches de spectacles pour enfant, un petit lama dans le décor, j’étais habillée en petit garçon, et pourtant il fallait se rendre à l’évidence : ces personnes étaient persuadées qu’elles allaient voir un spectacle pornographique.

– I fuck this one and you can fuck the other one, ai-je entendu l’un des compères marmonner à son compagnon.

– Non, c’est pour enfants le spectacle, a dit la metteur en scène.

– Y a pas de spectacle, a grondé la directrice.

Ils ont fini par partir, les hommes accroché aux femmes et vice-versa. Il était midi, ils devaient être en train de finir leur nuit.

Juste après, la police est passée. Une policière a mis sa tête dans l’ouverture de la porte, les autres regardaient la façade.

– C’est nouveau, ici ?

– C’est un théâtre pour enfants, a précisé la directrice.

Les policiers ont regardé les affiches, ils nous ont regardé. La metteur en scène-marionnettiste et moi en petit garçon avec un gros poncho. Les poupées sur les étagères. Les affiches : « La belle au bois dormant », « Le pauvre méchant loup ». Ils sont partis.

– Ils gardent un oeil sur les établissements du quartier, a expliqué la directrice. Ah ! La boîte d’à côté, là… Non seulement ils font du tapage nocturne, si en plus leurs clients viennent nous casser les pieds en journée…

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Ecrire correctement et bien écrire

Il y a les textes que l’on écrit correctement, ceux où l’on utilise des expressions toutes faites à bon escient, de petits jeux de mots si le contenu le permet. Il y a les textes spécialisés, et la joie secrète d’utiliser des termes plus rares ou certaines expressions, par pure gourmandise des mots. Il y a la vérification minutieuse du résultat, pour corriger les fautes de frappe, d’orthographe et de grammaire, les phrasés trop lourds ou redondants.

Il y a les heures d’écriture, où l’on essaie d’écrire bien, c’est-à-dire d’aller au-delà de l’écriture en français correct. On évite les clichés, les adverbes, l’inutile.

Quoi qu’il en soit, on applique toujours la phrase de Mark Twain : “Ecrire, c’est facile. Il suffit de supprimer les mots inutiles”.

Ajout : The Urban Muse publie 30 citations sur l’écriture, en anglais.
http://www.urbanmusewriter.com/2011/01/30-writing-quotes-to-kick-off-2011.html
Un délice.