Premier arrêt de notre deuxième journée avec notre guide : Tozeur, puis Douz, qui serait ainsi nommée “parce que les Français avaient donné des numéros aux villes, onze, douze, treize, et après leur départ Douz est restée appelée comme ça” selon l’un des habitants du lieu. Les deux villes sont au bord du désert, suivant cette ligne invisible qui marque la frontière du Sahara.
A Tozeur, nous faisons un petit tour de la place principale, puis nous asseyons à la terrasse d’un café.
– Dans le Sud, c’est beaucoup plus traditionnel que dans le Nord, nous explique Mokhtar. Dans le Nord, les femmes travaillent, certaines sont même ministres… Dans le Sud, ce n’est pas comme ça. La famille choisit qui la fille va épouser. La fille doit obéir. Elle doit rester à la maison. Souvent, le mari ne lui donne aucun argent, même pas pour faire les courses. Il s’occupe de tout ça lui-même.
– Mais elles sont malheureuses ?
– Oui, mais qu’est-ce qu’elles peuvent faire ?
– Et dans le Nord, ils en pensent quoi ?
– Ils pensent que les gens du Sud sont arriérés.
– Et les gens du Sud, ils pensent quoi des gens du Nord ?
– Ils pensent qu’ils sont fous.
Dans le groupe, nous sommes deux Occidentales, non voilées, habillées en pantalon large – aucun regard insistant, aucune manifestation d’hostilité. Mais aussi, nous sommes avec des hommes, dont Mokhtar qui connaît des gens dans le coin. Quelques hommes viennent s’asseoir à notre table, saluent Mokhtar, parlent avec lui ; il nous les présente, et au bout de quelques minutes, l’un d’eux nous invite à dîner chez lui, puis à aller au mariage de son cousin.
C’est ainsi que nous nous retrouvons à méditer l’achat de viande pour remercier nos invités : laquelle est la meilleure, viande de chevreau ou viande de chameau ? Notre choix se porte sur la viande de chevreau, mais le boucher est fermé. Tant pis, nous donnerons l’argent à Mokhtar, qui leur achètera de la viande la prochaine fois qu’il les reverra.
Nous passons d’abord à la maison des mariés, pleine de monde : les gens dansent, une femme fait une démonstration au centre d’un cercle, une petite fille me dit un “Alla” aux voyelles claires et s’amuse de ma réponse maladroite. Les festivités vont se poursuivre ailleurs, plus tard, après le dîner.
Nous nous retrouvons donc chez la famille : les parents, les fils encore non mariés, un fils marié et sa femme, et la fille… Divorcée.
Le divorce est extrêmement rare ici et la fille, apparemment, a de la chance d’être autorisée à sortir de chez elle pour aller au mariage.
Tout le monde s’est déjà préparé pour la fête, et nous mangeons un plat délicieux à base de larges fèves et de semoule épaisse – faite maison – dans la cour intérieure où une télé a été installée. Un feuilleton passe, nous regardons l’épisode en buvant du Coca. L’ambiance est détendue, nous échangeons des plaisanteries… Puis c’est l’heure de retourner au mariage.
Sur le chemin, la jeune divorcée me raconte son histoire : elle est restée mariée trois mois. Elle aura passé un mois avec son mari, deux mois avec sa belle-mère – le mari travaille à l’étranger. Elle ne pouvait pas vivre comme ça. Elle espère trouver l’amour.
En arrivant, les hommes et les femmes se séparent : et nous nous retrouvons dans la chambre d’une des invitées, qui se maquille et sélectionne minutieusement des vêtements dans son vaste dressing. Les autres bavardent, essayent ses fringues, rigolent.
Nous finissons par nous rendre toutes à la fête ; là encore, les femmes et les hommes resteront séparés. Une jeune fille me raconte qu’elle va aller étudier l’anglais à l’université dès la rentrée prochaine, et qu’elle est assez heureuse : le niveau est élevé, elle le voit bien avec son frère qui y est depuis l’année dernière, et son père tient beaucoup à ce qu’elle réussisse, c’est lui qui a insisté à ce qu’elle poursuive ses études… Je la rassure et lui donne les conseils que je peux : oui, elle ira étudier dans une autre ville, mais elle va rencontrer beaucoup de gens, et puis l’important c’est de travailler régulièrement…
Nous nous interrompons quand le spectacle commence. Les hommes jouent du tambour pendant que d’autres nous impressionnent par leur virtuosité en dansant avec un bâton.
La future étudiante me désigne Rodrigo, qui regarde la danse face à nous, du côté des hommes.
– C’est lui, ton ami ? Il a un bandana, c’est drôle les hommes qui portent un bandana sur la tête.
L’histoire du bandana, c’est un jeu entre nous : “si toi tu dois te couvrir la tête, je vais le faire aussi, par solidarité” a-t-il déclaré avant le départ. Je lui ai donc donné un bandana vert. Depuis, il a découvert l’aspect pratique de la chose, qui lui sert à discipliner ses cheveux trop longs, et le porte plus souvent que moi ; d’ailleurs, même si la majorité des femmes sont voilées, une touriste n’a absolument pas besoin de porter un foulard en Tunisie.
On nous appelle du côté des hommes : nous allons rentrer, la route est longue demain. Et le programme bien différent.
Nous allons voir les lieux du tournage de Star Wars. Ou : comment les maisons berbères traditionnelles de la ville de Tataouine sont devenues, à l’aide de deux ou trois bouts de tuyaux en plastique, Tatooine.